La jurisprudence du Conseil d’Etat avait pris une tournure particulièrement rigoureuse en ce qui concerne l’appréciation de l’intérêt à agir contre un permis de construire. Par une série d’arrêts récents, le juge administratif admet plus facilement la recevabilité du recours, tout au moins en ce qui concerne le recours formé par le voisin immédiat du projet de construction.
L’auteur d’un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, doit faire apparaitre clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet de construction.
Cette exigence résulte de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme qui a introduit un article L. 600-1-2 dans le code de l’urbanisme selon lequel :
« Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».
Cette disposition issue du « Rapport Labetoule » vise à réduire le nombre des recours abusifs en matière d’urbanisme en mettant fin à la présomption d’intérêt à agir reconnu par la jurisprudence au voisin immédiat d’une construction (rapport du groupe de travail présidé par D. Labetoulle au ministre de l'Égalité des territoires et du Logement, 25 avr. 2013).
Dans un premier temps, Les tribunaux administratifs (qui peuvent statuer en premier et dernier ressort contre les autorisations d'urbanisme lorsqu’elles sont délivrées dans les communes « sous tension ») et les cours administratives d'appel ont fait une application souple de ces nouvelles dispositions en continuant à admettre assez largement l'intérêt à agir du voisin de la construction.
Mais, dans un arrêt du 10 juin 2015 (requête n° 386121), le Conseil d'Etat a précisé qu'il appartient au requérant de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Le demandeur doit faire état d’éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Le défendeur peut alors contester l'intérêt à agir du requérant en apportant en réponse des éléments pour contester la réalité des atteintes alléguées.
Dans cette dernière affaire, le Conseil d'Etat a estimé que la seule circonstance que les habitations des requérants soient situées à environ 700 mètres de la station de conversion électrique en projet ne suffisait pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens. En l’espèce, les requérants faisaient valoir qu'ils seraient nécessairement exposés à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu'ils subissent en raison de l'existence d'une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives. Cette affirmation n’ayant pas été sérieusement contestée en défense, le Conseil d’Etat a admis l’intérêt à agir du requérant.
Puis, par un nouvel arrêt du 10 février 2016 (M. et Mme C. et autres, req. N° 387507), le Conseil d'Etat est allé plus loin en jugeant que la seule mitoyenneté ou la co-visibilité avec le projet de construction ne suffit pas à justifier un intérêt à agir, alors que les requérants avaient produit un plan de situation sommaire des parcelles et indiqué que l'une des façade fortement vitrée devait créer des vues.
Cette décision sévère a fait craindre une forte réduction des possibilités de recours contre les autorisations d’urbanisme.
Il semble en effet en résulter que la seule qualité de voisin immédiat du projet de construction ne suffit plus à faire présumer d’un intérêt à agir et que, faute d'une argumentation très développée et convaincante concernant cette qualité à agir, la demande d’annulation doit être rejetée comme manifestement irrecevable. Dans ce cas, une décision de rejet doit être prise par ordonnance, sans audience publique, sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative.
Par une série d’arrêts du 13 avril 2016 le Conseil d’Etat semble assouplir sa position (requêtes n° 389798, 389799, 389801, 389802, 390109).
Dans cette affaire la haute juridiction admet l’intérêt à agir des voisins dès lors que ceux-ci faisaient valoir que :
- leurs immeubles étaient situés à proximité immédiate du terrain d’assiette du projet de construction ;
- ils invoquaient les conséquences du projet sur la vue dont ils bénéficiaient et l’atteinte à leur cadre de vie ; ils indiquaient que les travaux entraineraient des troubles dans la jouissance paisible de leurs biens, ainsi que des difficultés de circulation ;
- ils joignaient à leurs requêtes leurs recours gracieux adressés au maire de Marseille, lesquels fournissaient des indications sur les inconvénients qui résulteraient, pour chacun d’eux, de la construction nouvelle.
Ces éléments sont regardés comme suffisants pour retenir l’intérêt à agir des requérants compte tenu de leur qualité de voisins immédiats du terrain d’assiette du projet. Il semble donc que la qualité de voisin immédiat de la construction permette de nouveau de se prévaloir d’un intérêt à agir, sous réserve que le requérant apporte quelques précisions supplémentaires quant à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
Ces dernières décisions viendront sans doute lever les craintes que l’on pouvait nourrir sur la possibilité pour un voisin de contester la légalité du permis de construire qui lui porte préjudice.
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